Givors est une île

« Givors est une île qui s’ignore. Ni secrète, ni fantasmée.
Je viens du continent. J’ai traversé le fleuve, plusieurs fois, accompli le voyage initiatique. Traverser le Rhône à Givors, c’est traverser un océan et entrer en terre nouvelle. Depuis le large elle demeure impassible à l’horizon, frangée de rives sauvages et mystérieuses où venir échouer son navire ; les légendes ont fait d’elle une insulaire. Elle est à la fois l’éden et le monstre.

Givors est une terre à re-conquérir. Un monde à part où les espaces contraires cohabitent et où les eaux se mélangent. Où le frémissement de l’autoroute se mêle au ronronnement des peupliers. Ici, il faut prendre le temps de le laisser s’écouler. Car dans les lônes, à l’ombre des saules, il peut se suspendre. Et là, le fleuve longtemps muselé se met à parler. Il vous apprendra comment cirer les galets, vêtir les arbres de riches étoffes de plastique et inventer des plages. Il vous racontera le cri du milan noir, le scintillement des ablettes, l’attente du pêcheur, la caresse des sisselandes, la fougue, les barrages, la fonte des glaces, la violence, la formation du sable, les industries et les trésors ensevelis. Mais il ne vous parlera jamais de la quête perdue du saumon de Givors.

On dit que le fleuve permet aux êtres des profondeurs maritimes de remonter loin dans les terres. Tous viennent et reviennent à Givors. Il faut attendre la décrue pour que des horizons engloutis apparaissent. Le fleuve a tout emporté sur son passage, ne laissant que des terres vierges et fertiles où construire son île.
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